Thursday 29 March 2012

Dickens for president!

(Version française plus bas)
How much tax should the wealthy pay? Last week George Osborne announced the British government’s decision to cut the top tax rate to 45%. At the same time in France, Socialist frontrunner François Hollande said he wanted 75% tax on top earners. His right-wing opponents said this would spark an exodus, but Charles Dickens rushed to his aid satirising the menace and using Hollande’s concept of a “patriotic” move:
“[Coketown] had been ruined so often, that it was amazing how it had borne so many shocks. Surely there never was such fragile china-ware as that of which the millers of Coketown were made. Handle them never so lightly, and they fell to pieces with such ease that you might suspect them of having been flawed before. They were ruined, when they were required to send labouring children to school; they were ruined when inspectors were appointed to look into their works; they were ruined, when such inspectors considered it doubtful whether they were quite justified in chopping people up with their machinery; they were utterly undone, when it was hinted that perhaps they need not always make quite so much smoke. Besides Mr. Bounderby's gold spoon which was generally received in Coketown, another prevalent fiction was very popular there. It took the form of a threat. Whenever a Coketowner felt he was ill-used-that is to say, whenever he was not left entirely alone, and it was proposed to hold him accountable for the consequences of any of his acts-he was sure to come out with the awful menace, that he would ‘sooner pitch his property into the Atlantic.’ This had terrified the Home Secretary within an inch of his life, on several occasions.
However, the Coketowners were so patriotic after all, that they never had pitched their property into the Atlantic yet, but, on the contrary, had been kind enough to take mighty good care of it. So there it was, in the haze yonder; and it increased and multiplied.”
Charles Dickens, Hard Times

A combien faut-il taxer les plus riches ? Le gouvernement britannique vient d’annoncer une baisse du taux de la tranche supérieure, de 50 à 45%. En France, François Hollande propose 75% au-dessus du million ; la droite agite le spectre de l’exil fiscal. Charles Dickens s’en mêle, raillant la menace d’une fuite des capitaux, et parlant, avec Hollande, de mesure « patriotique » :
« La ville avait été ruinée si souvent, que c’était merveille qu’elle eût résisté à tant de secousses. Certes on n’a jamais vu d’argile à porcelaine plus fragile que celle dont se trouvaient pétris les manufacturiers de Cokeville. On avait beau les manier avec toutes les précautions possibles, ils mettaient tant de complaisance à tomber en morceaux, qu’on ne pouvait s’empêcher de croire qu’ils étaient fêlés depuis longtemps. Ils étaient ruinés, disaient-ils, lorsqu’on les obligeait à envoyer à l’école les enfants des fabriques ; ils étaient ruinés, lorsqu’on nommait des inspecteurs pour examiner leurs ateliers ; ils étaient ruinés lorsque ces inspecteurs mal appris exprimaient, dans leurs scrupules, le doute que les filateurs eussent le droit d’exposer les gens à être hachés menu dans leurs machines ; ils étaient perdus sans ressource, lorsqu’on se permettait d’insinuer qu’ils pourraient, dans certains cas, faire un peu moins de fumée. Outre la cuiller d’or de M. Bounderby, qui était généralement acceptée dans Cokeville, il existait une autre fiction assez répandue parmi les manufacturiers. Elle se présentait sous forme de menace. Dès qu’un Cokebourgeois se croyait maltraité, c’est-à-dire dès qu’on ne le laissait pas tranquille et qu’on proposait de le rendre responsable des conséquences d’un seul de ses actes, il ne manquait jamais de faire entendre cette terrible menace : « J’aimerais mieux jeter mes biens dans l’océan Atlantique. » Plus d’une fois le ministre de l’intérieur en avait tremblé des pieds à la tête.
Les Cokebourgeois, malgré tout, se montraient si bons patriotes, que loin de jeter leurs biens dans l’océan Atlantique, ils avaient au contraire la bonté d’en prendre le plus grand soin. La ville était toujours là, sous son halo de brouillard qui ne faisait que croître et embellir. »
Charles Dickens, Les Temps difficiles

Wednesday 28 March 2012

A meeting with/Rencontre avec Gilda Piersanti

(Scroll down for English version)
Samedi dernier, rencontre à Dijon avec Gilda Piersanti, l’auteur de polars. Certains d’entre vous l’auront lue, ou vu récemment Hiver rouge sur France 2, avec Patrick Chesnais et Jane Birkin, d’après son roman Rouge abattoir. Séance de dédicaces dans une librairie. Elle s’installe, et personne ne l’abordant encore, j’en profite pour engager la conversation. Elle s’intéresse à mes lectures policières ; je cite des noms, essaye d'avoir l'air intelligent, accuse mentalement le pommard du déjeuner. Elle souligne la variété des styles sous cette appellation de « polar » : « Aujourd’hui, tout le monde veut écrire des polars, dit-elle malicieusement, mais ce n’est pas un genre unifié ». Elle attribue le succès des Scandinaves à l’émulation provoquée par une ou deux figures de proue. Je l’interroge sur l’idée que le polar, plus que d’autres genres littéraires, est un reflet de la société et permet d’en comprendre les mécanismes (heu, oui… je pense concourir pour la question bateau de l’année). Elle rattache cette idée à une tradition française, mais ne pense pas qu’il s’agisse d’une réalité universelle (même s’il me semble que de ce point de vue les Scandinaves ne sont pas en reste…). J’apprends avec étonnement que son premier roman, écrit vers l’âge de 20 ans, et jamais publié, était un roman « sur rien, sans intrigue », dans une veine philosophico-littéraire alors à la mode (années 70). Elle raconte cela avec humour. J’aime assez l’idée que l’écriture de polars soit l’aboutissement d’une réflexion esthétique ; pas mal pour un « mauvais genre » ! Elle a vu et aimé Borgen. Je lui recommande The Killing, dont j’ai ingurgité les saisons 1 et 2 en quelques semaines depuis janvier. Wonderland est son dernier roman ; elle écrit un mot très amical en guise de dédicace, d’une écriture ample et belle, à l’encre rouge.

I met crime fiction author Gilda Piersanti in Dijon, Burgundy, last Saturday. She was signing her latest novel, Wonderland, at “Lib de l’U” bookshop. I was there early enough to enjoy a casual talk with her. She asked about my readings, and pointed out that crime fiction, which is so popular with writers and readers today, is by no means a unified genre. She said the talent of a few leading authors emulated by followers could explain the success of Scandinavian crime fiction. I asked her whether she believed that crime fiction was a means of understanding society (anyone heard of some Trite Question Competition I could enter? Please use Comments section) and she said that this was mostly a French literary trend (although, IMHO, this is also a very Scandinavian, and probably European, one). I was happily surprised to learn that her first (unpublished) novel was “a book about nothing and without a plot,” as she merrily described it. She wrote it in her early 20s in the context of fashionable literary/philosophical theories she now jokes about. I like the idea that writing popular crime novels (whatever the adjective means) can be the result of some aesthetic maturation. She enjoyed Borgen. I recommended The Killing to her (I’ve been obsessed with it lately and watched seasons 1 and 2 in five weeks. Could this account for the four pounds I’ve put on?) She signed a copy of Wonderland in a large, beautiful handwriting, and (of course) in red ink.

Friday 23 March 2012

Merah le clown / Merah the Clown



(Scroll down for English version)
Quelques mots sur un roman de Salman Rushdie, Shalimar le clown, que j'avais lu à sa sortie et que l'actualité me rappelle brusquement. Je lis Rushdie avec intérêt depuis longtemps, ayant consacré mon premier travail de chercheur en culottes courtes (un mémoire de maîtrise, on ne disait pas master à l’époque) à deux de ses romans. Avant cela, l’affaire des Versets Sataniques avait évidemment contribué, avec la chute du Mur et la lutte contre l’apartheid, à l’édification politique de ma génération. Shalimar date de 2005 ; Nicolas Sarkozy n’était pas encore président de ce côté-ci de l’Atlantique ; George W. Bush l’était encore de l’autre : It was the best of times, it was the worst of times. Le roman commence par l’assassinat d’un ancien ambassadeur des Etats-Unis ; le meurtrier est Shalimar, la suite du roman nous raconte en un long flash-back son parcours, l’enfance au Cachemire, les aléas de la vie, les déceptions amoureuses, le basculement dans le terrorisme, les camps d’entraînement en Afghanistan et au Pakistan… Voyez-vous où je veux en venir ? L’avocat de Merah nous assure que son client avait « le visage d’un ange ». Le narrateur décrit Shalimar comme « le plus beau garçon du monde ». Bien des choses séparent évidemment les deux personnages ; une fois encore, cependant, il apparaît qu’un roman nous éclaire mieux sur le monde que tel reportage racoleur ou duel de polémistes sur une chaîne du câble. Et la prose de Rushdie, magnifique, vaut à elle seule la lecture.
 
Just a few words today-after Mohamed Merah, the Toulouse killings suspect, was shot by police-on Salman Rushdie’s Shalimar the Clown. I’ve been reading Rushdie since I was at University, and the fatwa following the publication of the Satanic Verses was a landmark, along with the Fall of the Berlin Wall and the struggle against apartheid, in the political education of my generation. Shalimar came out in 2005. Nicolas Sarkozy was not president yet; George W. Bush still was on the other side of the pond: It was the best of times, it was the worst of times. The novel starts with the assassination of a former US ambassador; the life of Shalimar, the murderer, is then told from his happy childhood in Kashmir to his unhappy love affair with the ambassador’s illegitimate daughter, and to his training as a Jihad fighter in Afghanistan and Pakistan-just like Merah. Merah’s lawyer said that his client had “the face of an archangel,” and the narrator in the novel that Shalimar was “the most beautiful boy in the world.” They differ on many points, but once again a novelist’s insight proves more enlightening than most TV debates or politicians’ reactions. And Rushdie’s magnificent prose is by itself sufficient reason to read the novel.

Tuesday 20 March 2012

Crimes



(Scroll down for English version)
Face aux crimes perpétrés à Toulouse et Montauban ces jours derniers, il est une chose que chacun peut faire pour tenter de comprendre : lire des romans. Car il est vrai que la littérature est une modalité de la connaissance. Je recommande pour la circonstance les polars de Fajardie, par exemple Tueurs de Flics, Sniper, Full Speed. On n'y trouvera pas, bien entendu, la clé des meurtres qui font la une ; mais une réflexion utile en cette heure sur la société, la politique, la violence.
Pour ceux qui ne connaissent pas Fajardie, voir l'article que lui a consacré Le Point à sa mort en 2008 : http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2008-05-05/l-ecrivain-frederic-h-fajardie-s-est-eteint/920/0/243237


France is in a state of shock after a series of connected murders in the South West of the country: a rabbi, three soldiers of North African and Carribbean origins, and three Jewish children. It is my belief that literature is one of the forms of knowledge, and the reading of novels can help us understand society, politics, and what shakes the world. I recommend Fajardie's Tueurs de Flics, Full Speed and Sniper. Two of his short stories are also available in a bilingual edition: Short Stories in French, New Penguin Parallel Text.

Monday 19 March 2012

Vers une Europe des micro-nations ? Towards the break-up of Europe?

Orkney Islands, August 2011 / Iles Orcades, août 2011
(Faire défiler vers le bas pour la version française)
When they started talking about Scottish independence again last summer, I was in the Highlands and I thought that if Scotland did become independent, Highlanders might well be tempted to claim more autonomy for themselves... Well, have a look at this article in today's Guardian: http://www.guardian.co.uk/uk/scotland-blog/2012/mar/19/islanders-threaten-salmond-independence-plans
In this globalised world dominated by China and the US, Europe should strive to become more, not less, united.


Quand les pourparlers sur le référendum écossais sont entrés dans le vif du sujet l'été dernier, j'étais justement dans les Highlands et sur les îles Orcades, et j'ai tout de suite pensé que si l’Écosse devenait indépendante, il ne se passerait pas 10 ans avant que les Highlands dénoncent le mépris des bureaucrates d’Édimbourg et réclament à leur tour plus d'autonomie... Je ne croyais pas que l'histoire me donnerait raison si vite. Voir l'article du Guardian d'aujourd'hui :
http://www.guardian.co.uk/uk/scotland-blog/2012/mar/19/islanders-threaten-salmond-independence-plans
Dans un monde de plus en plus globalisé et dominé par deux mastodontes (Chine, Etats-Unis) nous n'avons pas intérêt à ce que chaque petit coin du continent réclame son bout de souveraineté. Il faut l'affirmer face à la grande centrifugeuse des tentations autonomistes : le salut de l'Europe au XXIe siècle passe par plus d'unité.